Pourriez-vous vous présenter en quelques mots pour les lecteurs ?
Je suis né à la Guadeloupe, au pied de mon volcan-mère La Soufrière, et je suis poète, romancier et essayiste.
J'ai d’abord été professeur de Lettres, et d‘Anthropologie. Puis de 1982 à 1989, producteur de programmes francophones à France-Culture (émission Antipodes). J'ai été ensuite Directeur Régional des Affaires Culturelles de la Guadeloupe de 1989 à 1997. Puis au Ministère de la Culture de 1997 à 2012, j'ai été notamment Commissaire général de trois manifestations nationales : Le cent-cinquantenaire de l'abolition de l'esclavage en 1998, l'Année de la Francophonie en 2006, et L'année des Outre-mer en 2011. J'ai été commissaire de l’exposition : Césaire, Lam, Picasso, au Grand Palais à Paris en 2011 et à la Martinique en 2013.
En tant qu'écrivain, je suis l’auteur entre autres ouvrages de trois romans : L’isolé soleil (1981), Soufrières (1987), et L’île et une nuit (1996), (publiés aux Éditions du Seuil) ; d’un récit autobiographique : Tu, c’est l’enfance, (Éd. Gallimard, 2004); d’un essai : Les fruits du cyclone : Une géo-poétique de la Caraïbe (Seuil. 2007), ainsi qu’un recueil de poèmes : L’invention des Désirades, (Points-Seuil. 2009). Mon dernier ouvrage publié est le récit : Aimé Césaire, frère-volcan, témoignage de mes 40 ans de dialogue avec le poète. (Seuil. 2013).
L’écriture poétique est à l’origine de toute ma création littéraire, y compris dans les romans, par le souci de privilégier la musique et les rythmes qui dans notre Caraïbe, associent les mots du poème à la danse et au chant. La poésie comme parole due, architecture de racines et de feuilles envolées, jusqu’à la chute solaire du fruit de création. Mon identité culturelle n'est pas légitimée par un terroir ancestral, une pureté originelle, ni par une langue et une culture dominantes, mais par le fait d'assumer l'héritage des dépossessions originelles, des résistances à toutes les assignations, et le partage des altérités réunies, quelles qu'en soient les contraintes imposées ou choisies. Je m'attache à dépeindre la genèse des nouveaux mondes, sans ici ni là-bas, avec l’exil et le naufrage au départ des sentiers. L'identité ce ne sont pas les racines qui l'expriment, car l'identité c'est un fruit. Un métissage d’humanités, offrant fraternellement au monde toutes ses re-créations, échappées à toutes les frontières des couleurs, des papiers et des langues.
Vous êtes né en Guadeloupe et vous êtes défini comme un écrivain francophone. Quel rapport entretenez-vous avec la ou les langues françaises au cours de l’écriture de vos récits ? Pour vous, qu'est-ce qu'un écrivain francophone ?
La culture française se nourrit depuis des siècles de ce qu’elle a véhiculé, imposé ou emprunté dans d’autres pays, d’autres cultures sur cinq continents, notamment pendant toute la longue histoire de la colonisation. Aussi, dans certains milieux politiques et culturels, l’expression de la Francophonie, suscite au mieux l’indifférence, au pire le mépris, et est parfois considéré comme étant un relais du néo-colonialisme, ou un instrument d’une guerre dépassée contre l’anglais. Certains ont du mal à concevoir que la langue nationale puisse avoir dans une certaine mesure échappé à l’économie, à la politique, plus largement qu’elle ait, depuis des siècles, émigré de l’Hexagone et parfois même trahi ses maîtres au service de littératures et de pensées étrangères, toujours au service d'expressions de la liberté créatrice.
En réalité, il n’y a pas d’un côté une France maîtresse du français et de l’autre, des cultures dominées qui le pratiquent. Le français appartient à tous ceux qui le parlent, à ceux qui l’ont choisi de par le monde, et aussi à ceux qui l’ont conquis malgré les interdits ou les répressions coloniales, comme arme d’expression de leur libération contre ceux-là même qui l’avaient imposé, dans les provinces comme dans les colonies. La langue n’appartient pas qu’à ceux qui l’ont véhiculée ou imposée, mais culturellement, elle appartient à ceux qui se la sont appropriée comme « arme miraculeuse » de leur recréation et de leurs créations. Et plus généralement, le langage étant le passage obligé de la constitution de l’être, toute langue est pour tout locuteur à la fois un véhicule d’oppression ou de libération, d'imposition de lois et de règles ou un outil de transgression et de liberté. Aussi, dans sa structure même autant que dans sa performance, toute langue requiert pour se faire littérature révolte et soumission. Et celles que l’histoire et le va-et-vient des conquêtes et des résistances ont imposés ici et là véhiculent la même dualité, s’offrant en même temps comme expression de l’oppression pour l’oppresseur et de résistance pour l’opprimé. Les langues appartiennent à ceux qui les travaillent, dans le cheminement entre les murs et les issues qui balisent les chemins d’identité.
Pourquoi avez-vous choisi d'écrire un livre sur Aimé Césaire ?
Avec ce récit : Aimé Césaire, Frère-volcan, (Seuil. juin 2013) en tant qu'ami et complice discret et attentif d'Aimé Césaire durant plus de quarante ans, je raconte ici à voix libre et nue, ce que furent pendant plus de quarante ans, nos moments de partage. Le livre dessine un portrait de l'homme et du poète, en ses étapes majeures, avec : "au fil des saison survolées, la force aussi toujours de regarder demain". Pendant les quelque quarante années de ce que Césaire appelait "notre intime dialogue de tous les instants", j’ai toujours pris garde de respecter sa solitude si encombrée, dans son modeste appartement de la rue Albert-Bayet, place d’Italie, où dans son bureau de la mairie à Fort-de-France. Mes visites, c’était pour l’accompagner non à l’extérieur, mais en nos intérieurs, au plus loin possible de l’inepte bavardage, dans l’échange autour de "la parole essentielle : la poésie". Au naturel. Sans dépendance ni solennité, en échange de paroles dues, en complicité de frères-volcans.
je souhaitais comprendre comment naissait en lui, malgré les obstacles en montagnes de cendres, le moment de l’impérieuse éruption du poème-volcan : rythme, sens, image, en condensation ou en cristallisation, le poème pouvait, comme je le voyais sous mes yeux, se tordre ou se détendre selon son désir et son humeur, en courtes invectives, en formules banales ou en mots rares, en anaphores bien rythmées ou en brisures sèches de sens et de sons, en allitérations, jeu de sonorités, ou en cassures d’harmonie. Césaire me répondit : "J’écris, ou plutôt, je note toutes sortes de petites choses disparates, mots, phrases, bouts de phrases. Et puis, dans le meilleur des cas, je découvre leur continuité, et tout se coagule. Je laisse aussi parler mon animisme, qui est chez moi la connaissance par le paysage, par la nature". Coagulation de mots, de mots-nature édifiant tous ses poèmes jusqu' aux derniers :
"J’ai vu la sève fuser feuillage et dresser l’arbre de contreforts. / J’ai vu un arbre fuser droit du feuillage / Appuyé sur ses contreforts / Et se tenir haut / nourricier".
Ainsi, jusqu'aux lignes finales, l’homme-plante, était bien toujours implanté, profond et éruptif, en terre de poésie.
Quels sont vos projets d'écriture, ou autres, actuels et à venir ?
Je suis actuellement en phase finale d'écriture d'un prochain roman qui porte sur la naissance de la Résistance dans la jeunesse (notamment dans les réseaux de lycéens encore mineurs organisant la toute première grande manifestation antinazie le 11 novembre 40 à l'Arc de Triomphe) sous l'Occupation allemande à Paris. Occasion aussi d'un portrait de la Résistance dans les milieux culturels partagés entre résistance active et collaboration, et dans leur attitude face à l'Occupation (musiciens de jazz et classiques, jeunes lycéens et étudiants, intellectuels du Musée de l'Homme, artistes et écrivains, enseignants engagés prenant l'exemple de leurs élèves et leur donnant le leur, comme les résistants Jacques Decour et Jean Guéhenno, ce dernier leur dédiant son Journal des années noires.1940-1944, dont l'esprit traverse mon roman: "Ce journal de nos misères, je le dédie à ceux de mes élèves qui contribuèrent à leur donner leur sens et à en assurer la grandeur, et qui, emprisonnés, torturés, déportés, fusillés ou tués en combattant, témoignèrent par leurs souffrances ou par leur mort que nous ne nous trompions pas, que cette chose vague, dont nous avions parlé ensemble, avec angoisse et cependant ferveur, la liberté, existe, et que l'humanité dans l'univers et dans l'histoire n'est après tout qu'une sorte de complot d'honneur pour l'étendre et pour la sauver."
Interview avec Daniel Maximin
Par Damien Mougeot, étudiant en master Littératures française et francophones
et ambassadeur du service culture de CY Cergy Paris Université