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Publié le 2 juillet 2024 Mis à jour le 9 juillet 2024

Patrick Di Martino dévoile le rôle étonnant des micro-organismes dans le vivant

Escherichia coli
Escherichia coli - Reproduction de la coupe d'une cellule de bactérie Escherichia coli (E. coli). - © David S. Goodsell, RCSB Protein Data Bank - Creative Commons Attribution 4.0

Patrick Di Martino, microbiologiste professeur des universités, enseigne depuis 1995 à l’IUT de Cergy-Pontoise. Il est spécialiste des interactions des micro-organismes avec les surfaces. Les applications de ses recherches rappellent que nous avons encore beaucoup à apprendre du monde microscopique.


Patrick Di Martino aime le souligner : les micro-organismes sont nos alliés. Au quotidien, nous avons tendance à oublier leur existence : comment prendre en compte la présence d’êtres que nous ne pouvons pas voir à l’œil nu ? Pourtant, les micro-organismes font partie intégrante du cycle du vivant. "Les micro-organismes participent à la dépollution de l’eau, du sol. Ils ont un rôle clé dans les grands cycles de l’environnement, comme le cycle du carbone, de l’azote, ou la photosynthèse, la production d’oxygène. Au niveau de notre corps, on a nos microbiotes, c'est-à-dire les flores microbiennes dans l'intestin, sur la peau et dans toutes nos muqueuses, qui ont un rôle extrêmement important".

Redorer le blason des microbes
Malgré leur réputation négative, l’immense majorité des microbes ne sont pas nuisibles, bien au contraire. D’ailleurs, on leur préfère désormais l’appellation plus neutre de "micro-organismes". Pour Patrick Di Martino, "les micro-organismes, c'est comme tous les êtres vivants : il n'y a pas d'êtres vivants néfastes. Tout est question d'équilibre. Le monde vivant a deux caractéristiques : c’est une compétition perpétuelle, et une évolution perpétuelle. Les micro-organismes sont parfois en lutte avec d’autres. De notre point de vue humain, un micro-organisme qui nous rend malade est néfaste, mais à son échelle, il ne fait que s’implanter dans une niche écologique et se développer dans votre corps. Tout est relatif".
Certains raccourcis ont pu participer à cette mauvaise réputation. C’est le cas de la bactérie Escherichia coli, ou E. coli, très souvent citée dans les médias lors de cas de contamination alimentaire, et que Patrick Di Martino a longtemps étudié. Contrairement aux idées reçues, une grande majorité des souche d’E. coli sont inoffensives. "C’est une bactérie que l’on trouve dans l’intestin, et qui est bénéfique pour notre corps. Elle fait partie de notre microbiote, qui a un rôle très important pour la santé humaine. Cependant, sachant qu’elle réside dans l’intestin, elle est également présente dans la matière fécale. On s’en sert donc comme marqueur de contamination fécale, plutôt que de rechercher individuellement les nombreux possibles pathogènes. Cela dit, certaines souches et certains individus de cette espèce peuvent causer des infections. Ce sont aussi des contaminants usuels, de l'eau par exemple, et de l'eau de boisson en particulier. Elles ont ainsi leur intérêt comme marqueurs de contamination fécale dans les eaux".
Patrick Di Martino
Patrick Di Martino - Patrick Di Martino au département de biologie de l'IUT, avec une homologue de l'université de Rome, Laura Bruno, lors d'une visite à l'occasion d'un projet de recherche conjoint sur le développement de microalgues au Colisée de Rome. - © CY Cergy Paris Université - IUT


Traiter les micro-organismes dans la production de l’eau potable : le chlore bientôt plus automatique

Avec son équipe de recherche, Patrick Di Martino a mené un grand projet en partenariat avec le Syndicat des Eaux d’Île-de-France. Le défi : comprendre comment évoluent les micro-organismes dans un réseau de distribution d’eau potable lorsqu’on en enlève le chlore. À terme, cette étude pourrait aboutir à la mise en place de nouveau dispositifs de traitement des eaux, en se passant de l’utilisation de ce produit chimique omniprésent.
"Le dispositif s’appuie sur une technologie appelée l’osmose inverse basse pression. C’est un système de filtration très performant, qui repose sur l’utilisation de membranes agissant comme des filtres retenant un grand nombre de contaminants, polluants et micro-organismes impropres à la consommation".
L’une des missions du microbiologiste au sein du projet est d’étudier le comportement des micro-organismes lorsqu’ils s’accumulent sur la membrane. Le filtre perd de son efficacité s’il se bouche, et les micro-organismes ont tendance à former des biofilms qui risquent de colmater ses pores. "Nous explorons des procédés tels que l’ajout de cocktails enzymatiques qui vont pouvoir cibler et digérer les amas bactériens sur les filtres". L’enjeu est également d’étudier les effets de la présence accrue de micro-organismes dans les canalisations des réseaux de distribution. "En l’absence de chlore, les biofilms sont un problème potentiel, puisqu’ils peuvent libérer des micro-organismes dans l'eau et risquent d’éroder les parois des canalisations sur le long terme. On peut également voir apparaître des matières aromatiques qui donneraient à l’eau un mauvais goût. Il y a beaucoup de paramètres à surveiller".

Atténuer les effets du temps en préservant les matériaux du patrimoine

Patrick Di Martino étudie également les micro-organismes dans un contexte radicalement différent : la préservation des matériaux du patrimoine. Que ce soit la pierre calcaire des monuments franciliens ou le bois des sarcophages égyptiens, il œuvre à trouver de nouvelles solutions pour atténuer la dégradation de ces matériaux souvent colonisés et dégradés par la moisissure, les champignons ou les microalgues. "Nous recherchons notamment des solutions pour arrêter d’avoir recours aux biocides pour traiter les surfaces. Ce sont des produits chimiques certes efficaces mais toxiques pour l’environnement, que nous pourrions potentiellement remplacer par des molécules naturelles". Son travail l’a amené à collaborer avec des institutions muséales et patrimoniales, comme le musée Rodin, le musée du Louvre, la Fondation du patrimoine, le Colisée de Rome ou encore le musée égyptien du Caire. "En France, les musées nationaux comme le musée du Louvre sont particulièrement évolués pour ce qui est de la préservation des œuvres qu’ils détiennent. C’est moins le cas dans certains pays. La collaboration avec le musée du Caire leur permettra de développer à leur tour des procédés de conservation avancés".

Changer de regard sur les microbes

Patrick Di Martino partage avec une passion communicative son intérêt pour le monde microscopique. "On parle souvent de biodiversité. La biodiversité microbienne est immense, bien plus étendue que celle des organismes supérieurs auxquels on pense en premier lieu. Mais tout est lié. C’est un maillon de la chaîne qui est très important. On n’a pas plus à avoir peur des microbes que des chiens, des chats ou de la faune sauvage. Il n’y a pas de raison. On n’est pas prêt d’arrêter de les étudier, parce qu’on a énormément de choses à en retirer en terme de bienfaits : des molécules bioactives qui peuvent servir par exemple à élaborer de nouveaux médicaments, ou servir dans l’industrie pour remplacer des produits chimiques. Il y a vraiment beaucoup de choses à tirer de la compréhension de la nature de manière générale, et des micro-organismes en particulier".


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