Publié le 12 janvier 2024–Mis à jour le 19 janvier 2024
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Peut-on faire confiance aux avis en ligne ?
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Les avis en ligne sont devenus incontournables pour les consommateurs. Pour autant, des pratiques obscures se cachent parfois derrière les étoiles et commentaires auquel nous accordons tant de crédit. Entretien avec Inès Chouk, enseignante-chercheuse en marketing digital à CY Cergy Paris Université.
CY Cergy Paris Université - En août dernier, vous avez été interviewée pour un reportage France 2 sur les avis en ligne et leur impact sur l’activité des restaurateurs. Selon-vous, peut-on vraiment se fier à ces avis ?
Inès Chouk - Cette question soulève des enjeux non seulement pour le consommateur, mais aussi pour les commerçants, car cela touche à ce qu’on appelle leur « e-réputation », leur réputation en ligne. Vérifier la note d’un restaurant avant de le visiter, c’est devenu un réflexe pour la plupart des gens. Et lorsque la note est mauvaise, cela peut avoir un impact majeur sur la fréquentation et donc sur le chiffre d’affaires de ces commerçants.
Les faux avis peuvent être positifs ou négatifs : une jeune entreprise qui a envie d’attirer rapidement ses premiers clients peut se créer de faux avis positifs de manière frauduleuse. À l’inverse, de faux avis négatifs peuvent être rédigés pour nuire à la concurrence ou se venger d’un ex-patron. Dans les deux cas, cela met en péril l’activité et peut entacher le capital réputationnel du commerçant. Qu’ils soient positifs ou négatifs, je rappelle que les faux avis sont punis par la loi. Les condamnations peuvent aller jusqu'à 2 ans de prison et 300 000 € d'amende.
CY Cergy Paris Université - Vers qui les commerçants peu scrupuleux se tournent-ils pour obtenir de faux avis ?
Inès Chouk - J’en parle dans le reportage : il existe des sociétés spécialisées dans la production de faux avis. Elles sont capables d’aller usurper de vrais profils pour générer des commentaires, ou de créer de faux comptes en partant de vrais noms, de vraies photos… Cela arrive plus fréquemment qu’on le pense. Il est étonnant une entreprise comme Google, qui est un géant de la tech et qui travaille beaucoup sur les problématiques d’intelligence artificielle, n’ait pas mis en place des dispositifs performants pour détecter ces faux avis. Peut-être ne le considèrent-ils pas comme un élément important à gérer. Pour autant, je pense qu’elles auraient intérêt à se pencher sur la question, parce qu’il risque d’y avoir une migration des clients vers des plateformes d’avis plus fiables.
CY Cergy Paris Université - Est-ce que l’impact sur les commerçants a été quantifié ?
Inès Chouk - Pour le moment, il n’existe pas d’étude qui permette de quantifier ce phénomène. Car pour ce faire, il faudrait déjà qu’on ait un moyen de distinguer les faux avis des vrais. La DGCCRF (Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes) a avancé un chiffre, mais il reste pour moi largement sous-estimé. C’est tout de même encourageant de savoir qu’elle est consciente du problème. Elle a d’ailleurs déployé en juin dernier un logiciel dénommé Polygraphe, qui a pour but de détecter les faux avis.
CY Cergy Paris Université - À quel point est-il facile de publier un faux avis ?
Inès Chouk - Les avis de certaines plateformes ne sont pas du tout basés sur une expérience de consommation réelle, ce qui est aberrant. Lorsque France 2 m’a interviewée, j’ai montré qu’on pouvait créer un avis en écrivant n’importe quoi et en mettant seulement une étoile dans toutes les catégories, et le voir être publié en 30 secondes ! À aucun moment m’a-t-il été demandé une preuve de consommation du service ou du produit. Sur la page, il est mentionné « Google vérifie les avis a posteriori ». Cela signifie que la vérification est aléatoire et n’est pas systématique. Et bon courage pour que le commerçant voie une éventuelle demande de vérification aboutir.
CY Cergy Paris Université - Quelles conséquences pour les petits commerçants ?
Inès Chouk - La confiance est un capital qui se développe dans le temps. Pendant des années, le commerçant se construit une réputation, et elle peut être entachée en quelques jours seulement. C’est problématique. Le législateur essaye de mettre en place des mesures, mais aujourd’hui, ce n’est pas suffisant. Il faut que les plateformes investissent sur ces questions-là. Des faux avis, cela peut tuer un commerce, en provoquant une baisse significative du chiffre d’affaires ou carrément une faillite, faute de clients.
CY Cergy Paris Université - Faudrait-il se passer complètement des avis en ligne ?
Inès Chouk - Au fond, les avis sont tout de même des indicateurs très utiles pour le consommateur. Je ne conseille que de surveiller ce phénomène. Comme pour toutes les technologies, il faut des garde-fous, que l’on soit vigilant en tant que société, chercheur ou consommateur pour éviter les abus, car elles peuvent avoir des impacts considérables.