Mesdames et messieurs les élus,
Messieurs les président et vice-président de CY Cergy Paris Université,
Emotion et fierté, c’est ce que je ressens intensément en ce moment, ici, dans cette maison de la recherche en sciences humaines et sociales à laquelle CY Cergy Paris Université a choisi de donner mon nom. Une émotion, un vertige presque, devant ce qui ressemble à l’énigme du hasard. Celui qui m’a menée il y a presque 50 ans à Cergy-Pontoise, "la ville nouvelle" comme on l’appelait alors. Ce n’était pas encore une ville, ou alors imaginaire, plutôt un immense chantier, et les habitants venaient presque tous "d’ailleurs", un ailleurs qui s’étendait de la province - ce qui était mon cas - au monde entier. Avec la distance, je mesure mon privilège d’avoir assisté à la naissance et l’édification d’une ville, au surgissement de quartiers entiers, d’écoles et de lycées, d’un hôtel de ville, d’une, deux, trois gares, d’un Axe Majeur où la nature et l’art s’exaltent mutuellement.
Au début c’est l’absence de repères du passé, de mémoire que j’ai ressentie et qui m’a fait écrire sur Cergy en lui donnant spontanément le nom d’Ygrec, son anagramme, pour exprimer la difficulté non d’y vivre mais de comprendre ce qu’on y vivait de nouveau, d’inexprimable. Et, paradoxalement, dans cette attention à mon environnement, dans ces fragments d’écriture sur les gens que je croisais sur le parvis de la préfecture, aux Trois-Fontaines, j’ai senti qu’un lien complexe et profond m’attachait à Cergy, lien qui n’était pas sans rapport avec mon histoire de transfuge de classe. En un sens c’était un hasard objectif qui m’avait amenée à Cergy.
Quand, dix ans après mon arrivée, j’ai eu le choix de partir ou de rester, je n’ai pas hésité. Déjà, la ville était devenue partie intégrante de mon histoire et de ma mémoire. Si une des questions importantes de l’existence est de trouver sa place, la mienne, j’en étais sûre, était à Cergy, lieu de mémoires plurielles. Cette ville, dont l’essence est d’être tournée vers l’avenir, serait mon avenir.
Parmi toutes les réalisations de Cergy, celle, longtemps attendue, de la création en 1991 de l’université - merci Michel Rocard ! - m’a paru alors la plus importante et symbolique du rôle intellectuel que serait amenée à jouer Cergy. Le dernier fleuron en est cette maison de la recherche.
J’éprouve une immense fierté que mon nom lui soit associé et tout autant de gratitude. Car la sociologie a joué un rôle important dans mon travail d’écriture. Si, jeune professeure, je n’avais pas eu la curiosité de lire en 1972 Les Héritiers de Bourdieu et Passeron, ainsi que L’école capitaliste de Christian Baudelot et Roger Establet – Christian Baudelot qui m’a fait l’amitié d’être ici présent – sans ces deux livres donc, peut-être n’aurais-je jamais eu le courage d’affronter la honte d’avoir eu honte de mes origines et de l’écrire. L’accompagnement constant de mon travail par les sociologues contribuera ensuite à m’interroger sur mon travail d’écrivaine, à choisir des formes hors du roman, à mettre en question des dogmes littéraires et même à résister aux attaques du milieu journalistique. Car on ne dira jamais assez que les sciences sociales sont un rempart contre les opinions toutes faites, les slogans politiques et commerciaux.
A un moment où l’université est l’objet d’attaques et d'accusations par un anti-intellectualisme qui ne dit pas son nom, il est bon de rappeler que les sciences humaines œuvrent pour plus de liberté et de connaissance. La littérature, le théâtre, les arts ont, ou devraient avoir, la même ambition. C’est ce rapprochement entre les savoirs critiques et la création que je donne comme sens et volonté à votre choix de mon nom. Je vous remercie.