le 7 octobre 2024
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Publié le 4 octobre 2024 Mis à jour le 18 octobre 2024

Annie Ernaux, emblème de la maison de la recherche Sciences humaines et sociales

Annie Ernaux, invitée d'honneur lors de l'inauguration de la Maison de la recherche SHS.
Annie Ernaux, invitée d'honneur lors de l'inauguration de la Maison de la recherche SHS. - © CY Cergy Paris Université

Le 26 septembre 2024, l’autrice de renom et prix Nobel de littérature 2022 Annie Ernaux était l’invitée d’honneur pour l’inauguration de la maison de la recherche Sciences humaines et sociales à laquelle CY Cergy Paris Université a donné son nom.

Annie Ernaux fait partie des seize écrivains français à avoir obtenu le prix Nobel de littérature depuis sa création en 1901, elle est l’unique représentante féminine du pays à qui ce titre a été décerné, elle est Cergyssoise et son nom vient d’être donné à la nouvelle maison de la recherche Sciences humaines et sociales (SHS) de CY Cergy Paris Université. ''C’est pour moi quelque chose qui a beaucoup de sens parce que c’est à Cergy, où j’habite depuis bientôt 50 ans, et que j’ai toujours eu une grande considération pour les sciences humaines'', explique l’écrivaine. ''Elles ont joué un rôle important dans ma prise de conscience, dans mes sujets d’écriture. Je dirais que c’est comme une sorte d’accomplissement dont j’aurais pu rêver mais je n’y pensais pas et c’est devenu une réalité''. A cette occasion, Laurent Gatineau, président de CY Cergy Paris Université a dévoilé la plaque inaugurale de la maison de la recherche SHS aux côtés de l’écrivaine, de Pierre-Louis Fort, vice-président adjoint sciences humaines et sociales à CY Cergy Paris Université, de Jean-Paul Jeandon, maire de la ville de Cergy et président de la communauté d’agglomération de Cergy-Pontoise, et d’Ayda Hadizadeh, députée du Val-d’Oise.

"Une science avec et pour la société"

Une visite s’est ensuivie dans les étages du bâtiment qui accueilleront à terme plus de 200 chercheurs et 600 étudiants. ''Notre maison de la recherche est un espace dédié à la réflexion collective où chercheurs, doctorants, et étudiants pourront échanger, confronter leurs points de vue, et faire émerger de nouvelles connaissances au croisement des disciplines. Cette vitrine de CY Cergy Paris Université sera le pilier de notre stratégie de développement en faveur d'une science avec et pour la société'', souligne Laurent Gatineau rejoint par Pierre-Louis Fort. ''Cette maison de la recherche SHS a pour ambition de devenir tout à la fois un lieu emblématique de notre université et un nouveau pôle de rayonnement cergyssois puisqu’elle sera ouverte sur la ville''. Une volonté de CY Cergy Paris Université qui parle à celle qui, depuis cinquante ans et sa première parution chez Gallimard avec Les Armoires Vides (1974), explore le réel à travers l’écriture et s’est inspirée de ce qui l’entoure, de sa ville, des habitants pour peindre les décors de ses livres. ''A un moment où l’université est l’objet d’attaques et d’accusations par un anti-intellectualisme qui ne dit pas son nom, il est bon de rappeler que les sciences humaines œuvrent pour plus de liberté et de connaissance'' relève Annie Ernaux à la fin de son discours. La maison de la recherche SHS Annie Ernaux matérialise ainsi l’engagement de CY Cergy Paris Université pour la recherche, l’innovation et la transmission du savoir, comme l’a rappelé Laurent Gatineau, tout en rendant hommage à une écrivaine du territoire cergypontain dont l'œuvre a profondément marqué la littérature contemporaine internationale et la compréhension de la société. ''Bien plus qu’un simple lieu de travail, elle est le symbole de notre ambition de promouvoir les sciences humaines et sociales comme des disciplines centrales pour comprendre les transformations de notre société, éclairer les débats, et apporter des réponses aux défis sociétaux majeurs auxquels nous sommes confrontés'', insiste le président de CY Cergy Paris Université.

 


 

Discours d'Annie Ernaux pour l'inauguration de la maison de la recherche SHS le 26 septembre 2024

Mesdames et messieurs les élus,
Messieurs les président et vice-président de CY Cergy Paris Université,
Emotion et fierté, c’est ce que je ressens intensément en ce moment, ici, dans cette maison de la recherche en sciences humaines et sociales à laquelle CY Cergy Paris Université a choisi de donner mon nom. Une émotion, un vertige presque, devant ce qui ressemble à l’énigme du hasard. Celui qui m’a menée il y a presque 50 ans à Cergy-Pontoise, "la ville nouvelle" comme on l’appelait alors. Ce n’était pas encore une ville, ou alors imaginaire, plutôt un immense chantier, et les habitants venaient presque tous "d’ailleurs", un ailleurs qui s’étendait de la province - ce qui était mon cas - au monde entier. Avec la distance, je mesure mon privilège d’avoir assisté à la naissance et l’édification d’une ville, au surgissement de quartiers entiers, d’écoles et de lycées, d’un hôtel de ville, d’une, deux, trois gares, d’un Axe Majeur où la nature et l’art s’exaltent mutuellement.
Au début c’est l’absence de repères du passé, de mémoire que j’ai ressentie et qui m’a fait écrire sur Cergy en lui donnant spontanément le nom d’Ygrec, son anagramme, pour exprimer la difficulté non d’y vivre mais de comprendre ce qu’on y vivait de nouveau, d’inexprimable. Et, paradoxalement, dans cette attention à mon environnement, dans ces fragments d’écriture sur les gens que je croisais sur le parvis de la préfecture, aux Trois-Fontaines, j’ai senti qu’un lien complexe et profond m’attachait à Cergy, lien qui n’était pas sans rapport avec mon histoire de transfuge de classe. En un sens c’était un hasard objectif qui m’avait amenée à Cergy.
Quand, dix ans après mon arrivée, j’ai eu le choix de partir ou de rester, je n’ai pas hésité. Déjà, la ville était devenue partie intégrante de mon histoire et de ma mémoire. Si une des questions importantes de l’existence est de trouver sa place, la mienne, j’en étais sûre, était à Cergy, lieu de mémoires plurielles. Cette ville, dont l’essence est d’être tournée vers l’avenir, serait mon avenir.
Parmi toutes les réalisations de Cergy, celle, longtemps attendue, de la création en 1991 de l’université - merci Michel Rocard ! - m’a paru alors la plus importante et symbolique du rôle intellectuel que serait amenée à jouer Cergy. Le dernier fleuron en est cette maison de la recherche.
J’éprouve une immense fierté que mon nom lui soit associé et tout autant de gratitude. Car la sociologie a joué un rôle important dans mon travail d’écriture. Si, jeune professeure, je n’avais pas eu la curiosité de lire en 1972 Les Héritiers de Bourdieu et Passeron, ainsi que L’école capitaliste de Christian Baudelot et Roger Establet – Christian Baudelot qui m’a fait l’amitié d’être ici présent – sans ces deux livres donc, peut-être n’aurais-je jamais eu le courage d’affronter la honte d’avoir eu honte de mes origines et de l’écrire. L’accompagnement constant de mon travail par les sociologues contribuera ensuite à m’interroger sur mon travail d’écrivaine, à choisir des formes hors du roman, à mettre en question des dogmes littéraires et même à résister aux attaques du milieu journalistique. Car on ne dira jamais assez que les sciences sociales sont un rempart contre les opinions toutes faites, les slogans politiques et commerciaux.
A un moment où l’université est l’objet d’attaques et d'accusations par un anti-intellectualisme qui ne dit pas son nom, il est bon de rappeler que les sciences humaines œuvrent pour plus de liberté et de connaissance. La littérature, le théâtre, les arts ont, ou devraient avoir, la même ambition. C’est ce rapprochement entre les savoirs critiques et la création que je donne comme sens et volonté à votre choix de mon nom. Je vous remercie.


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